Chapitre 9
Chapitre 9 – Le dernier dîner
Dans une auberge de Kitai‑Gorod, les murs de briques rouges résonnaient des éclats de voix et du tintement des verres. L’odeur du pain chaud et des épices flottait dans l’air, enveloppant la salle d’une chaleur rassurante. Tatiana observait Li Wei, assis en face d’elle. Ses gestes étaient précis, mesurés, comme s’il cherchait à retenir chaque instant. Son sourire discret, presque timide, illuminait son visage, et Tatiana sentit une vague d’émotion la traverser.
« Pourquoi ai‑je peur que ce soit la dernière fois que je le vois ainsi ? » pensa‑t‑elle, troublée par une intuition qu’elle ne pouvait expliquer. Chaque détail lui paraissait soudain précieux : la façon dont il tenait ses baguettes, la lueur de ses yeux lorsqu’il la regardait, la douceur de sa voix lorsqu’il lui posait une question. Elle voulait graver cette image dans sa mémoire, comme si elle pressentait que le temps leur échappait.
Dehors, la neige tombait en silence sur les ruelles étroites de Kitai‑Gorod. Viktor attendait, immobile, sa silhouette massive se découpant dans la lueur des réverbères. Dans sa main, une rose noire. Ses doigts la serraient avec une lenteur calculée, comme s’il voulait en absorber toute la noirceur. Ses yeux gris fixaient la porte de l’auberge, patient, implacable.
À l’intérieur, Tatiana et Li Wei riaient doucement, inconscients de l’ombre qui les guettait. Mais au fond d’elle, Tatiana sentait déjà que ce dîner n’était pas seulement un moment de partage : c’était une veille, une dernière flamme avant l’obscurité.
Dans l’ombre, Viktor se parla à lui‑même, ses lèvres crispées dans un murmure que personne n’entendit : « Je ne sais plus si je suis une menace ou un témoin. Mais je veux voir jusqu’où leur lumière peut briller. »